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Interview de Anne-Isabelle Tollet, femme engagée pour la défense de Asia Bibi.

Anne-Isabelle Tolet
Anne-Isabelle Tollet

 

Anne-Isabelle Tollet, journaliste française, écrivain, prépare actuellement un roman inspiré de sa relation inattendue avec une femme talibane.

Entre 2008 et 2011, alors correspondante permanente au Pakistan pour France 24, elle alerte la communauté internationale sur le sort d’Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème en publiant son témoignage dans « Blasphème », chez Oh ! Éditions, qu’elle cherche à adapter au cinéma.

Lors de la mort d’Oussama ben Laden, le 2 mai 2011, elle a réalisé de nombreux reportages et duplex pour les journaux de France 24, France 2, France 3, i Télé, ainsi que l’émission « Mots croisés » sur France 2.

Anne-Isabelle a également présenté des JT en direct (France 24/ i Télé).

En septembre 2011, elle s’est exprimée à New York au sommet UN Watch, en marge de la grande assemblée générale de l’ONU, pour défendre la cause d’Asia Bibi.

Bonjour Anne-Isabelle Tollet, pourriez-vous vous présenter à mes lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?

J’ai toujours voulu être grand reporter, mais j’ai commencé à exercer le métier de journaliste en étant propulsée présentatrice sur i Télé en 1999. Très vite, j’ai ressenti l’appel du terrain, je voulais être au cœur de l’actualité, la vivre et la faire vivre. Je suis animée par une volonté farouche de témoigner de la manière la plus neutre. En effet, je ne suis pas une militante mais plutôt une combattante : que ce soit sur les terrains difficiles ou ailleurs, les journalistes ne sont pas toujours les bienvenu(e)s et il faut se battre sans cesse contre la tyrannie de l’opinion et pour le respect de l’autre.

Entre 2008 et 2011, j’ai été correspondante au Pakistan pour la chaîne d’information internationale France 24. Lorsque j’ai appris la condamnation à mort d’Asia Bibi pour avoir bu un verre d’eau, j’ai  couvert cette actualité comme l’ensemble de mes confrères. Je n’ai pas l’âme d’une mère Térésa, mais très vite cette histoire m’a rattrapée : en me rapprochant de la famille d’Asia Bibi il y a quatre ans, je ne pouvais pas rester insensible à cette injustice. Son mari et ses cinq enfants ont toujours reposé leurs espoirs sur moi et parfois je regrette de ne pas être plus influente, je me dis qu’ils ont fait un « mauvais casting ».

Asia Bibi
Asia Bibi

Pourriez-vous nous parler des origines de l’affaire Asia Bibi ?

Asia Bibi a été condamnée à mort pour avoir bu un verre d’eau par 45°. Même la série « Homeland » n’aurait pas osé un tel scénario ! Cette histoire invraisemblable  est pourtant bien réelle : en se servant dans l’eau du puits commun aux femmes musulmanes, Asia Bibi, la chrétienne, s’est vu reprocher d’avoir rendu cette eau impure. Au Pakistan, la loi anti- blasphème jette des milliers d’innocents en prison, sans discrimination religieuse particulière à l’égard des chrétiens. Mais cette disposition législative qui repose uniquement sur le principe de la dénonciation permet  à n’importe qui d’en faire un règlement de comptes privé. Ainsi, dans le cas d’Asia Bibi, une voisine a voulu se venger à la suite d’un problème de mangeoire abîmée par des vaches dont Asia avait la responsabilité. L’accusation de blasphème a été le moyen tout trouvé: il a suffi à la voisine de proclamer dans le village que, lors de sa querelle avec Asia Bibi, cette dernière avait insulté le Prophète.

Que risque cette jeune femme si elle est condamnée ?

Asia Bibi risque tout simplement d’être pendue si nous n’agissons pas. Il lui reste désormais à peine une quinzaine de jours pour présenter un ultime recours devant la Cour suprême – du moins si son dossier est accepté et nous n’avons aucune certitude de ce côté-là. Si elle est déboutée en appel, elle sera pendue immédiatement.

Quel type d’opération avez-vous mis en place pour la soutenir en France ?

Pour la faire sortir du couloir de la mort, le seul moyen réside dans les pressions des plus hautes instances, politiques et morales, de la communauté internationale.

J’ai donc interpellé le président Hollande dans une tribune parue dans « Le Figaro » le 1er novembre pour qu’il fasse le relais auprès de ses homologues à travers le monde. Même si ce n’est que partiellement, le sort de la condamnée est aussi entre ses mains. Je n’ai pas de retour de l’Élysée, bientôt peut-être…

Par ailleurs, j’ai lancé une grande campagne de soutien sur twitter #FreeAsiaBibi : « dire non à la pendaison d’Asia Bibi en buvant symboliquement un verre d’eau ». Je commence à recevoir beaucoup de photos à travers le monde mais ce n’est pas suffisant. L’idée serait de faire une grande fresque, une mosaïque de toutes ces personnes buvant un verre d’eau et de l’afficher sur l’hôtel de ville qui a placé Asia Bibi il y a trois ans sous sa protection symbolique.

Grâce de Capitani soutient Assia Bibi en buvant le verre d'eau "interdit".
Grâce de Capitani soutient Assia Bibi en buvant le verre d’eau “interdit”.

Pour les personnes qui n’ont pas de compte twitter, elles peuvent aussi envoyer leur photo à cette adresse : saveasiabibi@gmail.com

Y a-t-il des personnalités qui vous suivent en soutenant Asia Bibi ?

La philosophe Elisabeth Badinter a dénoncé la condamnation à mort « insupportable » d’Asia Bibi et c’est un grand honneur d’avoir son soutien. Le chanteur Michel Delpech, très affecté par cette affaire depuis la sortie du livre « Blasphème », que j’ai coécrit avec Asia Bibi en 2011, est formidable d’humanité. Il me demande régulièrement de ses nouvelles, son soutien est indéfectible. Toutefois, j’aimerais avoir l’appui d’autres personnalités afin de mobiliser les médias et donc les politiques. Je pense que beaucoup d’artistes souhaiteraient s’engager dans cette cause, mais ils ignorent qu’une femme innocente risque d’être pendue et que leur mobilisation pourrait changer le cours des choses. Depuis que je suis rentrée en France, je suis restée en contact permanent avec la famille, je n’ai pas encore réussi à les faire sortir de cet enfer. Seule, je n’y arriverai pas.

Quel serait votre mot de la fin, Anne-Isabelle ?

Il n’est pas trop tard pour sauver Asia Bibi de la potence. N’attendons pas sa pendaison pour nous indigner… Cela peut sembler fou, mais si tout le monde se prenait en photo avec un verre d’eau, nous pourrions réellement changer le destin de cette femme qui ne mérite évidemment pas de mourir.

Propos recueillis par Laurent Amar