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Le spécialiste des trous noirs Luc Mary nous donne son avis sur le film “Interstellar”.

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Interstellar de Christopher Nolan

 

Luc Mary, auteur des « Machines à explorer le temps », paru aux éditions Trajectoire en  2010 nous donne son avis sur le film de Christopher Nolan.

Bonjour Luc Mary, pourquoi la science des trous noirs et de l’astrophysique vous fascine-t-elle autant ?   

Dès que vous levez les yeux vers les étoiles, vous êtes happés par l’immensité pour ne pas dire la majesté et le mystère de la voûte céleste. A l’inverse, je dirais que ceux qui se détournent du Cosmos ont la vue basse. S’intéresser à l’astrophysique, c’est à la fois s’interroger à la fois sur l’origine et le devenir de l’Homme, sur le sens du temps et sur notre place dans ce Cosmos en apparence illimité. Qui plus est, l’Univers a dix fois plus d’imagination que tous les hommes. D’une certaine façon, il nous donne une prodigieuse leçon d’humilité. Depuis trente ans, nous découvrons ainsi quotidiennement des objets célestes impensables qui défient notre raison et notre bon sens. Quasars, pulsars et exo-planètes sont des astres étonnants, doués de caractéristiques  physiques improbables  qu’aucun scientifique digne de ce nom n’aurait pu concevoir il y a encore un siècle. Et parmi ces objets célestes singuliers, la palme de l’étrangeté est sans conteste à décerner aux trous noirs. Enfant chéris de la relativité générale, ces astres compacts représentent le dernier stade de l’évolution des étoiles. Et ces cadavres stellaires d’être fascinants à plus d’un titre. Non seulement leur densité est colossale, imaginez un astre de la taille d’un ballon de foot excédant dix fois le poids de notre terre, mais leur masse déforme littéralement l’espace et altère durablement le temps. Purs produits de la physique, ces trous noirs n’en jonglent pas moins avec le merveilleux et la métaphysique. En bref, il serait anormal que je ne sois pas captivé…

Qu’avez-vous pensé du film « Interstellar » ?

Le film a déjà un mérite : son titre. A la croisée des films « Contact » et « 2001, l’Odyssée de l’espace », « Interstellar » est une invitation exceptionnelle à un grand voyage à travers notre galaxie. Certes, on prend un raccourci via un trou de ver au large de Saturne mais on découvre des planètes singulières et néanmoins plausibles gravitant autour d’un trou noir. C’est aussi un film où la science pure est la véritable héroïne de l’histoire, Une fois n’est pas coutume, l’espace n’est pas le théâtre d’un affrontement apocalyptique entre les Terriens et des extraterrestres hypothétiques désirant asservir notre planète.
Les astronautes sont ici les messagers de notre terre et les porteurs d’espoir d’un autre monde. Certes, le film nous met en garde contre notre futur, mais il porte un message très optimiste. A savoir que le bagage scientifique de l’Humanité est son premier trésor. Interstellar souligne ainsi que la Terre est trop petite pour l’Homme. Si nous voulons survivre, nous devons nous tourner vers les étoiles. «  La Terre est le berceau de l’Humanité disait l’astronome Tsiolkovski, on ne reste pas toute sa vie dans un berceau ».

Une vue d'artiste d'un Trou Noir
Une vue d’artiste d’un Trou Noir

Les trous de ver, tels qu’ils sont décrits dans le film, existent-ils vraiment ou ne sont-ils que des objets célestes purement théoriques ?

A la différence des trous noirs, qui apparaissent comme d’anciennes étoiles effondrées, les trous de ver sont des objets hyper spéculatifs. Très courtisés par les amateurs de science-fiction, ceux-ci permettraient de relier deux parties de la galaxie séparées par plusieurs milliers d’années-lumière. En d‘autres termes, ils font figure de raccourcis de l’espace-temps, voire de métros interstellaires. Dans le jargon des scientifiques, nous employons le terme d’hyperespace. Loin d’être apparus dans les livres d’anticipation, ces trous de ver sont nés dans le cerveau des physiciens, il y a déjà près d’un siècle.

En 1916 pour être exact. Et dans le cadre de la relativité générale ! Comment expliquer ces bizarreries de la nature ? Pour mieux appréhender leur profil physique, il faut se représenter l’Univers sous la forme d’une feuille de papier qu’on replierait de façon que  les deux extrémités se rapprochent sans se toucher. Pour relier les deux bords, il est nécessaire de les percer et de les raccorder par un bout de ficelle. Et ce bout de ficelle, c’est le trou de ver. Ne serait-ce que pour atteindre l’étoile la plus proche, Alpha du Centaure, avec un vaisseau spatial parcourant l’espace à plus de 30 000 km/s, il nous faudrait 40 000 ans. Avec le trou de ver, nous pourrions rejoindre notre voisine de palier stellaire en quelques minutes. Extraordinaire n’est-ce pas ? Cela étant, il faut relativiser notre enthousiasme. Aux dernières nouvelles, ces tunnels de l’espace auraient une vie extrêmement brève, de l’ordre de la microseconde. Et ils ont la fâcheuse habitude de s’effondrer sur eux-mêmes. Apprivoiser l’énergie des trous de vers pour sauver l’Humanité ? Pourquoi pas, Mais pour l’instant, rien de tel dans le Cosmos ne semble avoir été observé.

Les astronautes traversent l’espace courbe grâce à ce trou de ver, pourriez-nous nous expliquer avec des mots simples ce qu’est l’espace courbe ?

La notion d’espace courbe est directement issue des travaux d’Einstein sur la Relativité générale : les objets célestes, des planètes aux étoiles, creusent d’autant plus l’espace qu’ils sont massifs. Loin d’être une notion spéculative, ce paramètre de l’espace courbe est au centre de toute l’astrophysique moderne. Portant sur la gravitation, elle explique pourquoi la Terre tourne autour de notre Soleil. En d’autres termes, le Soleil n’attire pas directement notre planète mais creuse une dépression dans l’espace dans laquelle circule la Terre. Cette courbure de l ‘espace au voisinage de notre étoile a même été prouvée lors de l’éclipse totale de Soleil survenue en mai 1919. Les scientifiques avaient alors vérifié que les rayons lumineux des étoiles lointaines étaient déviés à proximité du Soleil.

Un vaisseau spatial pénétrant dans un Trou de Ver.
Un vaisseau spatial pénétrant dans un Trou de Ver.

Pour mieux appréhender cette courbure de l’espace, il nous faut imaginer une membrane de caoutchouc. Les étoiles et les planètes sont figurées par des boules de métal ou de plomb. On constaterait alors que les petites sphères en question creuseraient d’autant plus la membrane qu’elles seraient lourdes. C’est le même principe à l’échelle de l’Univers. En ce qui concerne la membrane, imaginez maintenant une bille représentant un trou noir. Non seulement celle-ci déformerait la membrane mais elle la percerait. Cette courbure de l’espace est par ailleurs inséparable de la déformation du temps. Et c’est là que nous rejoignons le sujet du film Interstellar. Car au cœur du trou noir, l’espace est tellement déformé que le temps s’inverse. En somme, nous avons trouvé la fameuse machine à explorer le temps ; les hommes n’ont plus besoin de l’inventer.

Le film a fait beaucoup de buzz autour de la description de son trou noir hyper réaliste, et pourtant, il paraît que ce n’est pas vraiment cela, qu’en pensez-vous ?

Jusqu’à présent, il est difficile de se prononcer sur cette question car jamais personne n’a pu observer un trou noir en direct, et encore moins de près. A priori, la représentation d’un disque noir entouré d’un halo de lumière n’est pas une vue de l’esprit, Cette appréhension du « gouffre du Cosmos » a d’ailleurs été conçue par l’un des meilleurs spécialistes de la physique des trous noirs, nous voulons parler de Kip Thorne. Comment repérer un trou noir dans le Cosmos ?  Invisible par définition, ce cadavre stellaire se manifesterait indirectement en bouffant littéralement l’étoile gravitant autour de lui. D’une certaine façon, ces étoiles mortes avalent les vivantes. De vrais cannibales de l’espace. En bref, la représentation du trou noir dans le film me semble vraisemblable. Pour la vraie réponse, attendons encore 200 ans, quand débuteront les premiers voyages interstellaires…

A la fin du film le héros traverse un trou noir, que se passerait-il en réalité si un vaisseau spatial plongeait dedans ?

En un mot, ce serait fantastique. Comme je le précisai un peu plus haut, les trous sont des objets célestes hyper-compacts qui ont la propriété d’inverser les propriétés de l’espace et du temps. Pour être plus explicite, transportons-nous à bord d’un hypothétique vaisseau spatial qui s’approcherait d’un trou noir. A seulement quelques kilomètres de l’astre, l’attraction exercée sur notre fusée varie toutes les dizaines de mètres, voire tous les mètres. Il n’y a plus un seul moyen de faire demi-tour, car nous sommes happés dans le champ de gravitation. D’étranges phénomènes se produisent alors.

L'écrivain Luc Mary
L’écrivain et spécialiste des trous noirs Luc Mary.

Regardant l’espace à travers le cockpit, les astronautes constatent que le temps s’accélère. Les étoiles semblent filer sur la voûte céleste, et l’étoile qui gravite autour du trou noir tourne sur elle-même à une vitesse hallucinante. En regardant vers le Système Solaire, les astronautes constatent alors que la Terre tourne autour du Soleil en seulement quelques heures. En revanche, le centre spatial de Houston a l’impression de voir évoluer nos aventuriers au ralenti. Mieux encore, près de la « surface » du trou noir, le temps se fige. C’est le fameux phénomène du « gel temporel ». Pour les observateurs extérieurs, le vaisseau semble suspendu à jamais au-dessus de la gueule béante  et noire du monstre de l’espace. Les trous noirs sont vraiment des mondes hors du monde.

Pourriez-vous nous dire pourquoi le héros se retrouve dans la bibliothèque de sa fille, cela a-t-il un rapport avec les univers parallèles ?

C’est le moment le plus délicat et le plus controversé du film. Lors de la précédente question, je vous ai laissé à l’entrée du trou noir. Cette fois-ci, nous avons traversé l’horizon et le trou noir lui-même et nous nous sommes retrouvés de l’autre côté de l’Univers, dans une autre région de l’espace-temps. Dans Interstellar, l’astronaute est ainsi projeté en arrière dans le temps, derrière la bibliothèque de sa fille. Il y a ici deux interrogations, voire trois. Peut-on survivre à la traversée du trou noir ? En raison de sa forte densité, cela semble a priori hautement improbable. Mais imaginons l’inverse. En ce cas, la théorie envisage que le vaisseau spatial et ses passagers seraient projetés dans une réalité future ou passée de l’Univers. En l’occurrence, l’astronaute du film se retrouve chez lui, avant même le départ de sa fusée vers Saturne. Et qui plus est, coincé derrière la bibliothèque de sa fille ! C’est un choix du scénariste.

Mais la probabilité pour qu’un astronaute se retrouve sur Terre et qui plus est, avec la possibilité de changer son propre passé est de un sur un milliard. Quoiqu’il en soit, l’Univers a plus d’un tour dans son sac et nous apprend qu’à l’échelle du Cosmos, l’impossible n’existe pas. Vous évoquez aussi les univers parallèles. Ils sont aujourd’hui envisagés mais nous n’en avons aucune preuve. Dans le cas contraire, on peut imaginer des univers à l’infini où les postulats fondamentaux de la physique seraient modifiés. Peut-être pour notre plus grand malheur. Avec une force nucléaire plus élevée, le Soleil aurait disparu en quelques siècles et la vie sur Terre n’aurait pas pu apparaître. Imaginons maintenant une vitesse de la lumière beaucoup plus faible, réduite à seulement 30 000 km/s. A compter de cette hypothèse, les étoiles lointaines nous seraient encore invisibles et l’espace serait dramatiquement noir. Quelle angoisse…

Les paradoxes temporels tels qu’ils sont décrits dans le film vous paraissent-ils crédibles ?

Cette question est peut-être la plus cruciale. Car elle nous pose la question du sens du temps. Comme nous l’avons déjà spécifié, les trous noirs sont des machines à explorer le temps naturelles qui ne disent pas leur nom. Dans Interstellar, il faut ainsi comprendre que l’Humanité a exploité l’énergie des trous noirs et est parvenue à communiquer avec son propre passé. La fabrication du trou de ver ne serait que. La manifestation de notre propre avenir.
Un paradoxe temporel qui transgresse les lois de la logique mais non celles de la physique. D’une certaine façon, le futur détermine le passé et modifie notre propre présent. Ce qui signifie que le passé existe encore et que le futur peut déjà être observé. Autrement dit, il n’y aura pas de fin du monde et l’Humanité est sauvée. Je suis d’autant plus d’accord avec la théorie du film que j’ai moi-même écrit, il y a une vingtaine d’années, un livre portant sur les possibilités d’exploiter les trous noirs à des fins temporelles par les générations futures. Je suis même allé plus loin en envisageant purement et simplement que les fameux OVNI seraient des machines à explorer le temps envoyés par nos lointains descendants.

Votre mot de la fin cher Luc Mary ?  

Interstellar est non seulement un film à voir, mais à revoir aussi souvent que possible.  Car il nous donne une bonne image de la science et de l’Humanité. Il devrait même faire partie du patrimoine culturel de notre planète. En résumé, ce film m’inspire une réflexion, laquelle est empruntée à Teilhard de Chardin : « à l’échelle du Cosmos, seul le fantastique a des chances d’être vrai »…

Propos recueillis par Laurent Amar

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