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Interview de Luc Mary, co-auteur de « les derniers jours des chefs nazis »

Les derniers jours des chefs Nazis
Les derniers jours des chefs Nazis

Bonjour Luc Mary, pourquoi avoir décidé d’écrire un livre sur les grands chefs nazis ?

En effet, le sujet peut surprendre. Au regard du nombre pléthorique de parutions gravitant autour du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, notre livre, puisque je l’ai écrit aux côtés de Philippe Valode, peut apparaître comme un énième ouvrage portant sur la période la plus bouleversante de notre histoire récente. Et pourtant, je veux insister sur le côté novateur de ce sujet :
« les derniers jours des chefs nazis ».

Une fois n’est pas coutume, ce livre ne s’intéresse pas au Führer à proprement parler ni même aux évènements tragiques qui ont jalonné la Seconde Guerre mondiale mais à l’entourage d’Hitler et aux raisons qui ont poussé des hommes lambda à embrasser les aspects les plus brutaux du national-socialisme. En d’autres termes, il propose à ces lecteurs d’explorer l’histoire du nazisme en auscultant le cheminement de ceux qui l’ont construit, une trentaine environ, en s’attachant particulièrement à la façon dont ils ont disparu. Loin s’en faut, tous n’ont pas connu le même sort.

Quand d’aucuns sont morts assassinés par la Résistance à l’exemple d’Heydrich, d’autres se sont suicidé pour échapper à la justice comme Goebbels ou Himmler, nombreux sont aussi ceux qui ont survécu à la Guerre mais qui ont finalement été rattrapés par le jugement de l’Histoire. J’en veux pour preuve le seul cas d’Eichmann. Enlevé par les services secrets israéliens en Argentine en mai 1960, cet inspirateur de la Solution finale a finalement été jugé, condamné à mort et exécuté en Israël deux ans plus tard. En fin de compte, « les derniers jours des chefs nazis » permet de brasser une période qui dépasse largement le cadre de la Seconde Guerre mondiale, apparaissant en cela comme un témoignage incontournable et accablant sur l’une des idéologies les plus implacables et les plus sombres du siècle le plus meurtrier de l’Histoire…

Hitler était fou, mais comment expliquer également l’inhumanité de ses complices ?

Un éleveur de poulets, un écrivain raté, un as de l’aviation fauché, un simple juriste, un représentant en vins et spiritueux, les hommes qui ont accompagné Hitler dans sa folie meurtrière viennent apparemment de tous les horizons sociaux. En somme des hommes ordinaires happés par le grand tourbillon de l’Histoire. Leur profil psychologique varie aussi d’un personnage à l’autre. Tous apparaissent néanmoins comme des revanchards épris d’un nationalisme aigu doublé d’un antibolchevisme virulent. N’ayant jamais accepté l’humiliation de l’Allemagne de 1918 et surtout l’iniquité du traité de Versailles de 1919, nombreux sont les futurs cadres du Reich qui ont vu en Hitler le seul sauveur de la Nation et le seul homme capable de faire barrage au péril rouge.

Plus séduits par le charisme d’Hitler que par le nazisme en particulier, les sbires du Führer font figure d’opportunistes exaltés qui se sont nourri d’antisémitisme pour mieux asseoir leur carrière. L’un des cas les plus probants est sans conteste celui de Goering. Pourtant sauvé par une famille juive lors du putsch manqué d’Hitler en 1923, cela ne l’a pas empêché de signer un décret accablant les Juifs d’une amende d’un milliard de marks pour réparer les dommages occasionnés lors de la fameuse nuit de cristal de novembre 1938. Un comble ! En matière de férocité et de digne représentant nazi, la palme d’or doit cependant être remise à Reinhardt Heydrich, « l’esprit du Mal » par excellence confie Otto Strasser.

Luc Mary
Luc Mary

Dès l’âge de 16 ans, le futur maître de la Gestapo affiche sa haine viscérale à l’égard des Juifs et des Slaves. Organisateur d’expéditions punitives contre les Rouges dans les rues de Hambourg en 1932, Heydrich est le véritable instigateur de l’incendie du Reichstag, déclencheur d’une campagne sans précédent contre les communistes, et l’initiateur de la Shoah par balles en URSS.
Sous son impulsion, des commandos de la mort, les Einsatsgruppen, écument les campagnes soviétiques et en extirpent les indésirables…

Concernant Keitel, le chef d’état-major, comment expliquez-vous le fait qu’il n’ait jamais osé contredire les ordres parfois délirants de Hitler, notamment quand celui-ci refusait que la 6ème armée évacue Stalingrad ?

D’une certaine façon, Keitel fait figure d’anti-Rommel, un homme sans génie militaire et sans honneur. A aucun moment, celui que l’on a surnommé le laquais d’Hitler ou encore « le général Yawohl » (à savoir le général « Oui-oui »), n’a fait preuve de la moindre initiative ou du moindre courage pour contredire Hitler. Il est le modèle même du pleutre, caché derrière le visage de l’arriviste. Dans les livres scolaires, son visage est universellement connu, avec son éternel monocle.

Incarnant à la fois le Reich triomphant en 1940 et l’Allemagne humiliée en 1945, c’est lui qui reçoit la reddition de la France le 22 juin et c’est toujours avec sa signature que la Guerre s’achève cinq ans plus tard. Tout comme les autres dignitaires nazis, il a vilipendé La République de Weimar et les dictateurs du traité de Versailles. Elevé au rang de chef suprême des forces armées allemandes au lendemain suite à la double éviction des généraux Blomberg et Frisch, lesquels s’opposer aux projets d’expansion nazie en Europe, il doit son impensable ascension sociale à son incomparable fidélité à Hitler et non à ses seules initiatives. A l’instar de Ribbentrop, le ministre des affaires étrangères du Reich, c’est un homme sans envergure et sans charisme.

Son alignement inconditionnel sur Hitler s’explique non seulement par l’admiration qu’il porte à son chef mais aussi par la peur qu’il lui inspire. C’est cette même peur qui conditionne son zèle sans pareil à l’égard de la cause hitlérienne. Ainsi officie-t-il le tribunal du Peuple en 1944. Institué au lendemain de l’attentat manqué contre Hitler à Rastenburg, le 20 juillet de cette même année, ce tribunal condamne les conjurés à la pendaison. Ordre a même été donné aux bourreaux de baisser le pantalon  pendant leur supplice. Une seule fois, Wilhelm Keitel s’est aventuré à défendre un général révoqué lors de la campagne de Russie, un certain List, mais son insubordination est de courte durée, obsédé qu’il est par le désir de préserver son poste.

Alfred Rosenberg voulait-il en fin de compte inventer une nouvelle mystique, en remplaçant le christianisme par un mythe plus “païen” ?

« Le drame d’Alfred Rosenberg, c’est d’avoir vraiment cru au national-socialisme » relate l’historien Joachim Fest. Auteur d’un livre indigeste, « le mythe du XXème siècle », le quatrième pendu de Nuremberg est surtout connu pour être l’idéologue du parti nazi. Renvoyant le christianisme et le communisme dos à dos, ce nazi de la première heure affirme haut et fort la supériorité des Allemands, un peuple né pour conquérir le Monde selon ses dires. Et Rosenberg de sacraliser l’idée de race, seul idée motrice de la Grande
histoire. Au concept de lutte des classes, cher au marxisme-léninisme, Rosenberg entend y substituer l’idéologie de la lutte des races. Des valeurs de pitié et de charité véhiculées par le christianisme, il en fait table rase.

Seul compte pour lui les principes sacrés de l’honneur et du combat. Et cet ancien étudiant en architecture de fustiger le concordat conclu en juillet 1933 avec l’Eglise. En août 1939, il est aussi l’un des rares hauts dignitaires nazis à s’indigner du pacte de non-agression signé avec les Soviétiques. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, les idées de Rosenberg sont loin d’avoir séduit l’aréopage nazi. Littéralement vilipendé par Goering et constamment ridiculisé par Goebbels, Rosenberg ne rencontre même pas l’assentiment d’Hitler, lequel lui reproche de trop intellectualiser le nazisme, Rosenberg apparaît comme un idéologue égaré complètement coupé des aspirations véritables du peuple allemand. « C’est un souverain sans pays ni sujets » tempête le fougueux ministre de la Propagande. « Le nazisme est un mouvement populaire précise Hitler, pas un mouvement culturel ». Une fois n’est pas coutume, le Führer n’a pas tout à fait tort…

Y-avait-il un chef nazi qui était moins “atroce” que les autres, et si oui, qui était-il ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais l’un des nazis les moins convaincus par l’idéologie aryenne n’est autre que Goering, le potentiel successeur d’Hitler.

Plus séduit par Hitler que par les idéaux du nazisme, celui qui fut le numéro deux du régime et le successeur désigné du Führer est avant tout un acrobate des airs nourri d’exploits, de gloire et d’héroïsme guerrier, plus intéressé par ses parties de chasse et ses collections d’art que par le devenir du nazisme. La guerre elle-même n’est pas l’une de ses obsessions. A plusieurs reprises, Goering s’évertue à préserver la paix avec la France et l’Angleterre. Au printemps 1939, Il propose  même « un plan de paix de 25 ans » au gouvernement britannique. Élevé et éduqué par le baron Epenstein, un parrain d’origine juive, un homme qui l’a profondément marqué, l’antisémitisme de Goering relève du pur opportunisme.

En novembre 1938, lors de la « nuit de cristal », il déclare ainsi sans ambages qu’il est de son seul ressort de déclarer qui est Juif et qui ne l’est pas. Quoiqu’il en soit, je ne veux pas dresser un portrait idyllique du chef de l’aviation allemande. Plu nazi par ambition que par conviction, ce  morphinomane de plus de 130 kg est l’homme de tous les excès, de toutes les médailles et de toutes les extravagances. Lors du procès de Nuremberg, l’ancien Reichsmarchall ne reconnait à aucun moment ses torts, n’exprime nul repentir et nie catégoriquement avoir été mis au courant de l’existence des camps d’extermination. Mieux encore, il n’a pas le courage
d’affronter la potence. Le 15 octobre 1946, il se suicide en effet dans sa cellule, seulement quelques heures avant son exécution.

Votre mot de la fin Luc Mary ?

Enfin, je voudrais insister sur le caractère tout à fait banal et ordinaire de  ces hauts dignitaires nazis. En somme, des honnêtes pères de famille rentrant chez eux tous les soirs. A les entendre, « ils ne faisaient qu’exécuter les ordres ». Un culte de l’obéissance inconditionnel, inséparable d’une totale absence de moralité et d’interrogation de soi. Loin d’être né monstres, ces Nazis sont
devenus des tortionnaires, emprisonnés dans le grand carcan de l’Histoire. On ne peut en effet comprendre le nazisme et ses disciples sans nous plonger dans ce terrible monde de l’entre-deux-guerres. Plus encore que le nazisme, c’est surtout la peur ou l’attrait du marxisme-léninisme qui régentait les masses.

Entre 1917 et 1921, la révolution russe avait en effet généré une vague d’émigrés, lesquels rapportaient des récits terribles des exactions commises par les Bolcheviks. Le nazisme est en partie lié au rejet du communisme. Les deux idéologies ont pourtant les mêmes racines et obéissent à la même logique totalitaire. Et n’allons pas croire qu’elles ne peuvent jamais renaître de leurs
cendres. Aujourd’hui, l’islamisme radical préconisé par DAECH apparaît comme la fille cachée du nazisme et du communisme stalinien. Une nouvelle forme de totalitarisme d’autant plus incontrôlable qu’elle repose sur des principes religieux dévoyés…

Propos recueillis par Laurent Amar

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